L'avenir de notre monde : En a-t-il un ? (5e sphère, 5e élément : Social)

Nous avons traversé les sphères concentriques de notre monde depuis le centre de la terre, en passant par l'eau, puis l'air, jusqu'au vide intersidéral. Nous étions ensuite revenus sur le vernis du vivant entre le solide et le gazeux, la biosphère.

Avant de prendre encore plus de hauteur et bien que ce soit complètement en dehors de ma formation initiale, je voudrais vous faire part d'une intuition qui m'est venue pendant que je préparais le chapitre suivant et qui s'est étoffée au point de pouvoir constituer un ensemble structuré et cohérent, si ce n'est consistant. Je me suis posé la question de regarder comment la vie se complexifie par dessus la sphère matérielle proprement dite.

Il s'agit évidemment de spéculations personnelles, d'un regard de biologiste sur un monde vis-à-vis duquel je n'ai jamais reçu la moindre formation officielle, juste un peu d'éthologie rudimentaire. J'ai, bien sûr, parcouru un peu de ce qui est disponible sur Internet pour me déniaiser vaguement mais comme je n'ai rien trouvé de probant pouvant rejoindre l'armature de mon intuition (bien que tout ce que j'ai pu découvrir s'imbrique plutôt bien dedans), j'ai assez vite laissé tomber pour me fier à elle.

Donc, "je sais rien mais je dirai tout", c'est une intuition, un regard sur les rapports sociaux différent de l'académique en vogue (bien qu'il existe dans la sociologie/ethnologie formelle quelques recherches récentes allant un peu dans ce sens-là) et, contrairement aux chapitres précédents, pas du tout une synthèse des connaissances établies. Ceci dit, elle s'appuie sur des connaissances établies : je ne suis pas de taille à réinventer le monde, chose qui, de toute façon, ne peut pas me motiver.

Disons que c'est une bouteille jetée à la mer pour que d'autres reprennent, appuient, corrigent ou démolissent cette intuition.

À vous de voir.


 

Pour pouvoir partager ce qui va suivre, je crois utile de rappeler d'abord quelques faits et lois pour mieux comprendre.


 1- Effort et rendement

Quel que soient le domaine dans lequel on mène une activité, son ampleur et son échelle, deux lois empiriques semblent présider à toute action.


 * Rendement

Une définition tout d'abord : le rendement est le rapport entre l'énergie dépensée et celle effectivement transformée dans un but donné, d'une certaine façon c'est celle reçue en retour, le rapport dépenses/recettes de l'opération. Cette définition est générale, elle s'applique dans tous les domaines. Bien sûr, tout est possible, depuis les rendements nuls, le gaspillage "pur", jusqu'aux rendements infinis ou presque, "l'effet papillon" en étant la plus célèbre image.

En physique stricte, le rendement est le rapport entre l'énergie "utile" et celle "fournie". Si la définition précédente reste vraie, la pratique montre que, dans le domaine mécanique au moins, la grande majorité des rendements se répartit entre 15 et 40 %. Bien que dans les autres domaines, le sociologique en particulier, la notion de rendement soit plus élastique (puisqu'on peut prétendre a posteriori avoir visé le but atteint et non pas celui réellement poursuivi), il est logique de considérer que cette moyenne soit largement partagée, voire souvent inférieure à 15 % puisque moins matérielle.


 * Loi des 80/20 : Efficacité

Cette célèbre loi "sociologique" est aussi connue sous le nom de loi de Pareto.

En gros, elle dit que 80 % des conséquences sont provoquées par 20 % des causes, que 80 % des espaces sont occupés par 20 % des ressources, que 80 % du temps ou des efforts ne servent qu'à 20 % du résultat, que 20 % des possibilités servent dans 80 % des cas.

Elle est d'origine sociologique mais elle se vérifie dans tous les domaines ... à 80 %.

On peut aussi la traduire en se disant que pour obtenir un résultat quelconque sur quoi que ce soit, l'énergie et le temps à consacrer à ce qui encadre le moindre résultat sont toujours 4 fois plus importants que ceux consacrés au résultat en lui-même (réflexion, préparation, équipement, action (20%), évaluation, rangements, entretien, réparations & nettoyages, etc.). C'est valable depuis la moindre expérience formelle scientifique de laboratoire, jusqu'au plus banal des repas quotidiens, courses et vaisselles incluses.


80/20 en surface, les 20% au centre

80/20 en surface, les 20% autour

Cette autre loi est issue de l'informatique et d'Internet. Elle est également appelée loi de Nielsen (appliquée à la vitesse de connexion), sinon règle du 1 % (appliquée à la participation des internautes).

En gros, elle dit que, quel que soit le sujet, moins de 1 % de la population des internautes y contribue de façon proactive (c'est à dire autrement que par des "lol", "+1" et autres smileys, 9 % y participent occasionnellement de façon opportuniste et 90 % n'y contribuent jamais.

Je ne la connaissais pas et sa découverte m'a fichu un sacré vertige : si seulement 1 % des internautes contrôlent la totalité de ce qui y est dit, le pouvoir d'influence qu'ils prennent alors sur les autres est supérieur à tout ce que j'ai pu imaginer jusque-là. C'est plutôt inquiétant pour la démocratie, surtout lorsque les grands lobbys décideront d'y consacrer leurs moyens pour de bon (cf. ACTA, SOPA, PRISM, HADOPI, etc...)

Comme elle dépasse largement le domaine de l'Internet, qu'elle est plutôt universelle, ma peur risque fort d'en trouver des preuves terrifiantes comme celle-ci : Quand la science découvre les 1 % qui dirigent l'économie

En tout état de cause elle renforce la loi de Pareto et montre que "de petites causes peuvent avoir de grandes conséquences" et, bien sûr, elle ne s'applique pas qu'à l'informatique et Internet. D'une certaine façon, on peut la considérer comme une sorte de formalisation du fameux "effet papillon" et sa généralisation est extrêmement importante bien au-delà de la sociologie.

On remarquera aussi qu'elle est liée à la précédente car, en fait, la loi des 80/20 en est une approximation. En réalité, il existe 3 parties dans la loi des 80/20 : la troisième est un "résidu" pas assez significatif pour justifier un lourd investissement dessus mais elle existe, disons que c'est 80/20 à 1% près ...


90-9-1 en surface, les 9+1% au centre

90-9-1 en surface, les 9+1% autour

 

On la retrouve partout, dans l'effet du sel et des autres condiments sur la nourriture, dans les concentrations des principes actifs de pratiquement tous les médicaments, dans celles des colorants des peintures, aliments et autres, dans la proportion de fer de l'hémoglobine, du magnésium de la chlorophylle, de tous les catalyseurs de toutes les réactions chimiques, jusqu'au fameux "grain de sable qui bloque la machine" ou au dicton "quand on est plusieurs il est plus facile de faire du bruit que du silence", voire aussi le "un seul être vous manque et tout est dépeuplé" (ou repeuplé, c'est selon), etc.

 

La Loi Normale décrit un phénomène courant qu'on pourrait imager avec, par exemple, du sable s'écoulant dans un sablier : quand on le retourne, tous les grains de sable vont descendre par le petit trou qui sépare les deux ampoules de verre à fond plat. Tous ces grains commencent leur chute du même endroit mais ils ne la terminent pas tous au même endroit. Quelle est la probabilité qu'un grain s'immobilise à un endroit donné ? C'est ce que décrit cette loi.

La répartition finale des grains est prévisible et chacun a pu le vérifier consciemment au moins une fois dans sa vie mais ce qu'on n'imagine pas en regardant ce petit tas de sable, ou tout autre tas d'éléments de petite taille constitué par leur écoulement à partir d'une source unique (trou dans un sac de riz, montagne de sel, de minerai, de graines ou autre, au bout d'une trémie, terrils, décharge de benne de camion, etc.), c'est que plus de la moitié du tas se tient dans un volume égal ou inférieur à celui occupé par les moins de 10 % qui se sont répartis au plus loin du centre du tas, au plus loin de la verticale du point de chute. La répartition des éléments issue d'une loi normale a toujours cette allure. L'examen des probabilités associées aux cercles concentriques à la verticale du point de chute image bien les deux lois précédentes.

C'est la loi statistique la plus connue, c'est aussi la plus universelle. On l'applique sans gros risque d'erreur dès que le nombre d'essais, de tests, est supérieur ou égal à 100. En dessous, les risques d'erreur deviennent trop importants et on lui préfère des lois plus "sur mesure" comme la loi de Poisson puis, en gros en-dessous de 50, la loi Binomiale.
 


courbe de Gauss, Normale centrée, réduite

La même en 3D

Si l'on représente les deux lois précédentes sur des schémas de loi Normale, ça donne quelque chose comme ça :

Ceci pour serrer d'un peu plus près l'image que ça pourrait avoir avec des grains de sable :

Ça aide à voir ce que "minorité" veut dire selon qu'elle soit aux commandes ou aux marges.


* Eutrophisation

Petit retour sur la biosphère pour rappeler le principe fondamental qui régit le maintien et l'expansion de la vie depuis qu'elle existe ici. J'écrivais :

"Le défi de toute espèce, l'objectif implicite recherché par son génome, est d'arriver à occuper de façon durable le plus grand volume possible de ce qui l'entoure tout en satisfaisant ses besoins élémentaires le mieux possible, en étant "bien nourrie", le mieux possible.

A ce titre, "tout fait ventre" : à partir du moment où quoi que ce soit peut être exploité comme ressource pour en être "bien nourri", pour chaque individu et quelle que soit son espèce, c'est "bon à prendre" même si ce "quoi que ce soit" est vivant, même de sa propre espèce. C'est un réflexe aussi vieux que les premières formes de vie. C'est celui qui sous-tend toute l'évolution du vivant depuis son origine. Il doit d'être toujours aussi fondamental à toute forme vivante aujourd'hui au succès qu'il apporte au maintien de leur génome dans la biosphère.

D'un autre côté, la Vie a autant horreur du vide que de l'uniformité : pour la vie, d'une certaine façon, c'est la même chose, tout espace homogène, uniforme, qu'il soit physique ou biologique, voire conceptuel, est un "splendide marché à conquérir". La première espèce trouvant une façon de l'exploiter pour son compte peut rapidement en exploser ses effectifs, donc offrir une plus grande stabilité à son génome, donc renforcer sa pérennité."

Cette règle s'applique dans tous les domaines, à toutes les espèces. On trouve même une version "sociale" chez les fourmis :

Il existe environ 12 000 espèces de fourmis. C'est une estimation, on pourrait tout aussi bien dire 10 ou 15 000. Chaque espèce est socialement structurée et pour une espèce donnée, toute autre espèce est "considérée comme" une autre entité, menace ou ressource. La latitude comportementale d'une fourmi dans sa colonie est plus qu'étroite. Les comportements face aux différentes situations sont très stéréotypés. Il faut dire que si l'on évalue l'individualisation de l'espèce humaine à environ 100 000 ans (cent mille), pour les fourmis on parle plus facilement de 100 000 000 d'années (cent millions). Il est donc logique que leur évolution soit mille fois plus poussée et leur diversité en espèces dix mille fois plus élaborée que celles des grands singes.

Sociologiquement parlant, il est logique que, pour la famille des fourmis, tout ce qui a pu être possible, viable et stable ait été "poussé à fond" dans toutes les directions possibles. Elles sont donc, au sein de la même espèce comme entre leurs espèces, extrêmement intéressantes pour connaître les grandes lignes de l'univers des possibles des interrelations sociales ou apparentées.

Ainsi, non seulement les tâches des individus sont différentes selon leur naissance (reproducteurs, ouvrières, soldats), mais encore variables en fonction de l'âge de l'individu, comme chez les abeilles et les autres insectes sociaux. La densité des castes est contrôlée à la naissance en fonction de celle de la colonie qui, elle, est contrôlée par les limites de son environnement.

Il existe ce que nous appelons des fourmis esclavagistes, c'est à dire des espèces, très nombreuses, qui volent le naissain d'autres espèces de fourmis pour utiliser les individus qui en sortent à des fonctions et tâches précises, ce qui est fait avec suffisamment de "finesse" pour que l'espèce victime de cette prédation élaborée n'en disparaisse pas. Ceci dit, le mot "esclavagiste" est un anthropomorphisme abusif car l'esclave n'est pas de l'espèce "esclavagiste". C'est plutôt une chose qui serait à apparenter à ce que nous faisons avec d'autres vertébrés comme les vaches, chèvres, moutons, porcs, chevaux, volailles, etc. Bien que notre domination sur ces espèces ne soit pas taxée d'esclavagisme, les latitudes comportementales que nous leur tolérons sont largement plus étroites que celles laissées aux esclaves humains. Les fourmis font pour ainsi dire pareil.

Ceci étant, les espèces de fourmis sont plus voisines entre elles que l'homme avec son bétail. Il en résulte que les comportements en sont d'autant plus complexes. Ainsi, si l'esclavagisme existe et a atteint une sophistication poussée, il existe aussi des comportements adaptatifs qui cherchent à rétablir l'équilibre et bien d'autres choses encore à découvrir car nous n'en savons pas beaucoup sur cette grosse dizaine de milliers d'espèces. Le fait notable ici est que, sociologiquement, la pression de "prédation" des "esclavagistes" a été assez large et assez complexe pour permettre le développement d'un comportement antagoniste, pour constituer une sorte de "nouveau marché à prendre", pour leur faire inventer le "sabotage".

L'antagonisme esclavagiste-esclave autorise donc toute une déclinaison de possibilités permettant à ce type de relation de perdurer depuis une centaine de millions d'années. L'équilibre s'est fait en éliminant par sélection naturelle les espèces incapables d'arriver à le trouver, incapables de maintenir le génome soit des esclaves, soit des esclavagistes, soit des deux. La dépendance n'est pas nécessairement mutuelle, les esclaves survivent mieux sans les esclavagistes, mais elle existe encore pour celles ayant trouvé "un comportement durable de gestion de la ressource", un peu comme l'humain a changé l'auroch en vache, le loup en chien.

Évidemment et comme chacun le sait, rien n'interdit à l'homme d'en faire de même avec une partie de ses semblables, mais à un niveau moins élaboré. Les fourmis nous montrent qu'à ce niveau l'humain n'a rien inventé, en fait. Il suit un chemin qui a déjà été exploré avant lui.

L'organisation sociale des babouins est fondée sur un réseau de dominances qui prend en compte des facteurs très divers – force physique, sexualité, amitiés individuelles et surtout sociabilité.

En haut de la hiérarchie, on trouve les mâles adultes, suivis des mâles immatures et des femelles. Parmi ces dernières, celles qui sont en chaleur prennent le pas sur leurs compagnes.

Les mâles dominants, ceux qui l'emportent pour la conquête des femelles et forcent leurs rivaux à s'effacer, disposent de la meilleure nourriture et des perchoirs les plus confortables pour dormir dans les arbres. Leur supériorité ne dépend pas seulement de leur valeur dans les combats – la victoire allant au plus gros et au plus vigoureux –, elle relève aussi de leur aptitude à mettre les autres mâles dans leur camp, à former des alliances avec eux.

Les affrontements entre mâles sont fréquents, et cette fréquence est sans doute en partie à l'origine de certaines spécificités anatomiques de l'animal, notamment sa dentition incroyablement puissante. Dans la plupart des disputes, l'attitude menaçante du mâle – grondements, attaque simulée – ainsi que sa position dans la hiérarchie du groupe suffisent à dissuader l'adversaire mais il arrive que des mâles d'habitude soumis lancent des défis aux dominants. Le prix à payer alors pour les perdants est lourd : ils peuvent être blessés, parfois même tués.

Les mâles dominants ont presque toujours la priorité lorsqu'il s'agit d'aborder une femelle en chaleur. Ils ont donc plus de chances que les autres mâles de s'assurer une progéniture. Les mâles subordonnés, ou sub-adultes, eux, ne peuvent approcher les femelles qu'en dehors des périodes de réceptivité et de fécondité maximales. Quant aux jeunes des deux sexes, ils ne sont apparemment sujets à aucune attraction sexuelle. Les mâles dominants se désintéressent du comportement des femelles en dehors des périodes de fécondité.

Entre ces dernières la hiérarchie est bien moins nette que chez les mâles. Plusieurs d'entre elles peuvent participer à une agression contre l'une ou l'autre de leurs compagnes. Leur statut dépend de leur maturité sexuelle et du cycle de reproduction. Elles vivent en marge de la société et n'ont aucun pouvoir tant qu'elles sont trop jeunes pour se reproduire.

Ce schéma social n'est donc pas une invention humaine non plus.

Pour étudier leur aptitude à nager, un chercheur du laboratoire de biologie comportementale de la faculté de Nancy, Didier Desor, a réuni six rats dans une cage dont l'unique issue débouchait sur une piscine qu'il leur fallait traverser pour atteindre une mangeoire distribuant les aliments. On a rapidement constaté que les six rats n'allaient pas chercher leur nourriture en nageant de concert. Des rôles sont apparus, répartis ainsi : deux nageurs exploités, deux non nageurs exploiteurs, un nageur autonome et un non nageur souffre-douleur.

Les deux exploités allaient chercher la nourriture en nageant sous l'eau. Lorsqu'ils revenaient à la cage, les deux exploiteurs les frappaient et leur enfonçaient la tête sous l'eau jusqu'à ce qu'ils lâchent leur butin. Ce n'est qu'après avoir nourri les deux exploiteurs que les deux exploités soumis pouvaient se permettre de consommer leurs propres croquettes. Les exploiteurs ne nageaient jamais, ils se contentaient de rosser les nageurs pour se faire nourrir.

L'autonome était un nageur assez robuste pour ramener sa nourriture et passer les exploiteurs en la conservant. Le souffre-douleur, enfin, était incapable de nager et incapable d'effrayer les exploités, alors il ramassait les miettes tombées lors des combats. La même structure - deux exploités, deux exploiteurs, un autonome et un souffre-douleur s'est retrouvée dans les vingt cages où l'expérience a été reconduite.

Pour mieux comprendre ce mécanisme de hiérarchie, Didier Desor a placé six exploiteurs ensemble. Ils se battirent toute la nuit. Au matin, ils avaient recréé les mêmes rôles. Deux exploiteurs, deux exploités, un souffre douleur, un autonome. Ils ont obtenu le même résultat aussi en réunissant dans une même cage six exploités, six autonomes ou six souffres-douleur.

Puis l'expérience a été reproduite dans une cage plus grande contenant deux cents individus. Ils se sont battus toute la nuit, le lendemain il y avait trois rats crucifiés dont les autres avaient arraché la peau. Moralité: plus la société est nombreuse plus la cruauté envers les souffre-douleur augmente. Parallèlement, les exploiteurs de la cage des deux cents entretenaient une hiérarchie de lieutenants afin de répercuter leur autorité sans même avoir besoin de se fatiguer à terroriser les exploités.

Autre prolongation de cette recherche, les savants de Nancy ont par la suite ouvert les crânes et analysé les cerveaux. Or les plus stressés n'étaient ni les souffres-douleur, ni les exploités, mais les exploiteurs.

Se pourrait-il que, pour chaque espèce animale, il existe une sorte de grille d'organisation spécifique ? Quels que soient les individus choisis et dès qu'ils sont plus de deux, ils s'empressent de tenter de reproduire cette grille pour s'y intégrer. Peut-être que l'espèce humaine est tributaire d'une telle grille elle aussi.

Lorsque le singe s'est redressé il y a 6 (Orrorin tugenensis) ou 7 (Sahelanthropus tchadensis) millions d'années, il était déjà social mais le chemin a été long avant la généralisation de l'invention de la société.

La répartition des tâches de façon totalement disjointe est récente et, en apparence pour l'instant, humaine : c'est le seul vertébré connu où l'on trouve des individus profitant du travail d'autres de sa population sans jamais avoir y participé et dont le propre travail est également parfaitement étranger aux premiers.

Cette évolution récente a été rapide, initiée il y a entre 9 et 12 000 ans, au temps des premières villes, elle n'aurait pas pu apparaître avant. A cette époque, la structure principale de ces sociétés reposait sur trois piliers :

(Source : http://mimimato.forumactif.org/t60-d-ou-viens-je-qui-suis-je-ou-vais-je)

Ce dont on dispose aujourd'hui provient du croissant fertile, zone géographique qui recouvre d'un côté le pays des pharaons, le Nil, de l'autre celui des Assyriens et des Hittites entre le Tigre et l'Euphrate, le Jourdain entre les deux. Ces trois groupes culturels sont les plus anciens connus, ils ont commencé à laisser des traces il y a 12 millénaires, 2 000 ans avant le dernier grand changement climatique. Il y a donc certainement des traces à découvrir sous le niveau actuel de la mer, loin du rivage.

Au départ il s'agissait surtout de très gros villages, certains devenant villes, Uruk et Assur en particulier, Assur dont le fer de lance était ses commerçants qui ont délégué l'administration de la ville à son clergé au nom du dieu principal Assur, de même nom que la cité. La notion de roi est venue de là : le roi est le plus grand des prêtres et le chef de l'administration. Au départ il est élu pour gérer l'administration, puis il devient aussi le chef des armées tout en conservant son apostolat. D'autres villes-états sont nées "au même moment" dans la région et la compétition entre elles commence très rapidement aussi, Assur n'a pas toujours eu le dessus.

La Mésopotamie devient une constellation de petits états plus ou moins belliqueux entre eux. Leur fédération en un grand royaume a lieu par la force il y a en gros 4 millénaires, 3 800 ans environ, sous le règne de Samsi-Addu mais ce royaume se délitera "très vite" au profit de celui de Babylone : la société se cherche, cherche sa stabilité. Elle ne l'a pas trouvée dès le début ce qui nous vaut de nous entre-déchirer au détriment de la survie de toute la biosphère, de ne pas être une seule population-pays-société-civilisation aujourd'hui.

Les raisons de cet échec tiennent, pour moi, dans notre très fort individualisme et notre mépris de la vie des autres : la royauté "de droit divin" n'a pas réussi à éviter au roi d'être régulièrement assassiné par ses prétendants et concurrents, pas plus qu'à faire de lui un gestionnaire clairvoyant et visionnaire sachant stabiliser et étendre son royaume sans le fragiliser.

C'est une rançon énorme à la vie antérieure en bandes concurrentes et dispersées pour lesquelles les autres constituaient une menace à leur survie. Chose cohérente à l'époque puisque l'espace vital minimal exigé par le mode de vie prédateur-nomade est immense. A partir du moment où ces bandes fusionnent en populations denses et gérées centralement, donc dès l'apparition des premières cités-états et jusqu'à aujourd'hui, la situation s'inverse totalement sur ce plan : à court-moyen terme affaiblir ses partenaires affaiblit forcément tout le monde y compris soi-même. Le réflexe de compétition clanique qui s'est maintenu à l'intérieur des grandes populations bien constituées fragilise plus l'ensemble qu'il ne le stabilise mais on n'efface pas comme ça plus de 300 millénaires de notre évolution psychologique, hélas.

C'est aussi une rançon énorme à la spécialisation originelle entre hommes et femmes : les premiers se sont formés à être des prédateurs-conquérants, les secondes à être les gestionnaires de l'espace conquis mais comme les premiers ont avili et déprécié les secondes il était impossible de stabiliser durablement les territoires conquis, tout empire s'en est déstructuré très facilement.

L'irrespect des "faibles", des subtils, tue la civilisation.

Côté relations humaines, en dehors de l'économique, "ces temps étaient durs" : esclaves, hommes "libres", nobles et puissants, phallocratie, sentences de mort expéditives, droit de cuissage, nos pires travers étaient la règle - nécessité à être expéditif, binaire ?? - et pourtant le roi était élu au départ.

L'organisation sociale était finalement assez voisine de celle d'aujourd'hui : un roi comme chef des armées et du clergé, un clergé chargé de l'administration et des commerçants, paysans-guerriers et mercenaires-nomades. Ce sont bien ces trois forces fondamentales qui tiennent encore la cohérence de toute société humaine au monde : des chefs de clan, femmes et chasseurs sortent les notions de direction, administration et production sans qu'il y ait eu, depuis certainement des centaines de millénaires, quasiment d'autre évolution que cette généralisation-là sur seulement les 10-12 derniers millénaires.

Il est donc possible de considérer que l'invention des hommes du croissant fertile est d'avoir fédéré puis virtualisé les bandes, les clans, en les transformant en "cellules" d'un méta-organisme humain, en sous-groupes actifs plus ou moins individualisés et hiérarchisés dans une premlière grande société humaine, la physiologie de l'ensemble (leurs interrelations) régie par ce qu'on nomme "la loi" ou "le code".

Les trois couleurs les plus utilisées étaient le rouge, le noir et le blanc. On comprend, ce sont les plus voyantes dans un environnement marron et vert.

Une symbolique y était associée et elle a toujours cours aujourd'hui :

Le paysan-commerçant-guerrier est en noir, le clergé-administrateur en blanc, le roi en rouge.

Les trois forces initialement constitutives de la société et mises en trois couleurs qui sont encore aujourd'hui sur les drapeaux de la plupart des pays du monde, le blanc pouvant se décliner en jaune, le noir en bleu ou en vert et le rouge en rouge ou violet. Bien sûr il y a eu évolution, les curés de base sont parfois en noir, le haut clergé peut être en violet, le pape est resté en blanc, les policiers sont en bleu ou en vert foncé, et en noir aussi, etc. mais aujourd'hui la permanence et l'universalité de cette structuration est saisissante, pratiquement intacte : roi, noblesse et clergé puis tiers état, partout au monde avec quelques variations de style mais à peine. (L'armée est récemment devenue mimétique de son cadre d'opération mais reste en foncé pour ses uniformes de parade, les soldats de base évidemment, on voit les officiers supérieurs en blanc).

Les gens d'avant le 7e millénaire ne savaient pas écrire, ils n'en avaient pas besoin. Il est difficile de deviner comment ils en étaient arrivés à créer et maintenir "la haute" dans ces groupes forcément plus petits que leurs successeurs. Le mécanisme pourrait être l'intérêt évident qu'il y avait à courtiser le chef de clan pour améliorer son propre statut, comportement certainement né plusieurs centaines de millénaires avant le Würm, mais pourquoi-comment l'individu a-t-il perdu de vue que si son intérêt s'obtient au détriment du groupe alors il le tue ? Pourquoi était-ce viable, incontournable ? Comment s'en débarrasser aujourd'hui alors que cet endo-parasitisme est général sur toute la planète au point de menacer l'espèce et toute la biosphère ?

L'expérience ci-dessus sur les rats contient sans doute un élément de réponse.

Je remarque ici encore la présence récursive de cette structuration (administratif/commercial/technique) depuis les petites entreprises jusqu'aux états.

La récursivité des structures, qu'elles soient matérielles, physiologiques ou sociales, et bien que ce soit un sujet trop à la mode pour ne pas s'en méfier, saute aux yeux dès qu'on l'identifie au point d'en donner le vertige.

Outre de nous permettre de créer de jolis dessins que nous trouvons plus ou moins esthétiques et vertigineux, qu'est-ce qu'une fractale, sur quoi reposent-elles ?

Une fractale est un objet dont la structure et l'apparence ne changent pas quand on change d'échelle. On peut les considérer en absolument tout point comme des structures gigognes. C'est une quintessence de la récursivité puisqu'un objet fractal est un ensemble d'objets dont chaque élément lui est identique. La notion d'infini exposée ainsi me donne le vertige mais quel que soit ce qu'elle suscite, l'universalité de sa vérité dans ce qui nous entoure mérite qu'on s'y arrête.

Si tout secteur ou point d'une fractale est cette fractale, alors comment est-ce conçu, qu'est-ce qui en assoit et en dirige l'existence ?

Je ne sombrerai pas dans l'analyse mathématique car elle m'est aussi étrangère que soporifique, comme à beaucoup. Les explications imagées à notre échelle me semblent plus parlantes.

Pour générer une fractale, il faut de la récursivité et pour répéter à l'infini un motif il faut qu'il le permette au départ. Tout motif étant fait pour être répété, normalement on doit pouvoir faire des fractales avec n'importe quoi, y compris le "motif nul", le point. Ceci dit, il est difficile de voir une fractale dans une surface unie bien que c'en soit une : nos yeux ont besoin d'une différence, d'une opposition, d'un motif, puis de récursivité.

D'un point de vue plus général, toute "différence élémentaire" qui peut être reproduite et répétée peut se décliner en fractale, dans tous les domaines et c'est ce qui devrait nous en rendre méfiants.

Depuis quelques petites années les fractales sont de plus en plus à la mode, mises à toutes les sauces. C'est facile puisque toute contradiction, toute opposition, toute situation plus ou moins contrastée peut être utilisée comme motif de base. Ceci étant, l'observation de l'univers depuis les particules élémentaires jusqu'à ce que nous pouvons encore en voir au plus loin possible, en passant par cette biosphère qui nous héberge ainsi que par le monde virtuel des concepts, tout présente des structures répétées, récursives, fractales. Il est alors logique de retrouver ce phénomène en sociologie aussi.

Sous cet angle, l'examen des phénomènes sociologiques de petite échelle peut faire pressentir ceux à échelles trop grandes pour que nous puissions les percevoir à notre niveau mais ceci avec toute la méfiance disponible pour ne pas alimenter les théories du complot, les désinformations, les manipulations par "fractalisation" de spéculations grossières, sérieusement invérifiables mais comme ce "marché" existe, il est "exploité". Bref.

Je n'ai rien trouvé concernant l'analyse sociologique vue sous l'angle des fractales mais j'ai l'intuition que la récursivité s'applique aussi entre les structures sociales selon leurs tailles, leurs niveaux d'imbrication et leur histoire.

Tout ce qui précède étant somme toute assez éclectique, une petite pause s'impose, je propose.

On joue ?

On commence par le plus vieux et le plus con que je connaisse : le jeu de l'ultimatum.

C'est un jeu à deux : il y a un très très gros long lingot d'or pur sur la table que deux personnes doivent se partager. L'un des deux a la commande du massicot pour le couper en deux et l'autre regarde. Le premier doit dire à l'autre où il va couper et si l'autre refuse alors ni l'un, ni l'autre n'en auront la moindre poussière. Une seule proposition, c'est tout. Pas de "session de rattrapage".

Alors ? Tu coupes où ? Je coupe où ?

Amusant, non ?

Qu'est-ce qu'un jeu ?

En général, c'est une mise en situation de compétition ou d'affrontement avec quelque chose à gagner, souvent réduit à la proclamation du résultat mais pas toujours. Donc, c'est par essence une miniaturisation de relations sociales. Par conséquent, les jeux ont des choses à nous apprendre sur beaucoup de comportements, humains ou pas.

Prenons, par exemple, le jeu "pierre-papier-ciseaux". La règle de ce jeu est que la pierre casse les ciseaux mais est enveloppée par la feuille qui est pourtant coupée par les ciseaux. Chaque joueur choisit un élément et le gagnant est celui qui l'emporte sur les autres au moment où tous l'annoncent. Jouer toujours la même chose est une mauvaise stratégie car l'autre ou les autres vont vite comprendre l'objet à préférer pour avoir l'avantage. Stratégiquement aussi, avoir une préférence pour l'un des objets amènera rapidement à un résultat analogue dès que ce sera compris. La stratégie que ce jeu impose si l'on veut ne pas trop perdre est de choisir le plus aléatoirement possible l'élément en respectant globalement une proportion 1/3 pierre, 1/3 ciseau, 1/3 papier. Cette "martingale", cet équilibre stratégique, est ce que les théoriciens du jeu nomment l'équilibre de Nash. Beaucoup de jeux y conduisent mais pas tous et il n'y en a pas forcément qu'un seul par jeu non plus.

Le jeu du mille-pattes est un jeu à deux, un peu plus subtil mais à peine : le joueur 1 a devant lui deux piles, l’une de 4 pièces de monnaie, l’autre de 1. Il a deux solutions : soit il prend la plus grosse pile, alors le joueur 2 reçoit l'autre et le jeu est fini, soit il passe, ne prend rien, et le montant de chaque pile est doublé : la première passe à 8 pièces, la seconde à 2. Le joueur 2 a alors le même choix : prendre la plus grosse pile ou ne rien prendre et laisser les montants doubler mais avec le risque que le joueur 1 prenne ensuite la grosse pile. Le nombre de tours maximal du jeu est fixé au départ et connu des joueurs et, si le jeu va jusqu'au bout, les joueurs se partagent le magot à 50/50. Notez qu'au dernier tour, la grande pile contient 66 % (2/3) du total possible et l'autre 33 % (1/3). Au tour précédent, l'avant-dernier, puisque ça double à chaque tour, elle n'en atteint que 33% et l'autre 16,5% (1/6). À quel moment est-il plus profitable de terminer le jeu ?

Réponse difficile puisque, au final, c'est la perception de la psychologie de l'autre joueur qui primera ...

Le dilemme du prisonnier est pas mal non plus :

Deux suspects sont arrêtés par la police mais les agents n'ont pas assez de preuves pour les inculper. Ils les interrogent séparément en leur faisant la même offre : "Si tu dénonces ton complice et qu'il ne te dénonce pas, tu seras remis en liberté et l'autre plonge pour 10 ans. Si tu le dénonces et lui aussi, vous écoperez tous les deux de 5 ans de prison. Si personne ne dénonce, vous en aurez tous deux pour 6 mois." Les prisonniers n'ont aucun contact entre eux, évidemment. Le raisonnement attendu de chacun est plus ou moins celui-ci : si l'autre me dénonce et que je me tais, j'en prends pour 10 ans mais si je le dénonce je n'en fais que 5. S'il ne me dénonce pas et que je le dénonce je suis libre tout de suite, sinon j'en prends pour 6 mois. Donc il y a tout intérêt à dénoncer dans tous les cas. Seulement, voilà, la réalité est toujours plus subtile que ça. Vous, vous feriez quoi, avec quelle prise de risque ?

Jean Gourmelin

Et si l'histoire se répète ? Mettons qu'au lieu de dénonciation, ce soient deux personnes qui échangent des boîtes censés contenir respectivement de l'argent, un objet de valeur. Chacun a un intérêt immédiat à passer une boîte vide mais il est plus avantageux pour les deux que la transaction ait honnêtement lieu : quand ce jeu est répété, les joueurs adoptant une stratégie intéressée y perdent au final alors que ceux plus "désintéressés" voient leur "altruisme" récompensé : la confiance paye. C'est un peu comme pendant la guerre des tranchées où les combattants des deux camps, et contre l'avis de leurs commandements, appliquaient le principe du "vivre et laisser-vivre" : ils ne déclenchaient jamais les hostilités mais toute agression entraînait une réplique intense. Toujours la confiance.


Une petite glace pour la route, ensuite on reprend ?

Deux marchands de glace doivent choisir un emplacement sur une plage où les clients sont répartis uniformément. Ils vendent la même chose. La différence ne porte que sur l'emplacement : les biens ne sont distincts que du fait des coûts de transport, chaque client se dirige donc systématiquement vers le marchand le plus proche.

La question est double : d'une part déterminer la position d'équilibre, c'est-à-dire où les marchands vont se placer sur la plage pour maximiser leurs gains, d'autre part analyser cet équilibre du point de vue des marchands et des clients.

Ce "problème" est aussi un grand classique du genre parce qu'il s'applique à un grand nombre de domaines, économie en particulier mais aussi à bon nombre d'activités sociales : le problème des marchands de glace.

L'équilibre tombe très vite : la solution évidente au départ est celle où ils se mettent chacun au milieu d'une des deux moitiés de la plage, mais le moindre écart par rapport au centre de cette moitié favorise l'autre. Sa réaction va donc être de se rapprocher un peu de l'autre "pour compenser" et au final, un peu comme si ces deux centres d'intérêt étaient soumis à la loi d'attraction des masses de Newton, la place d'équilibre pour chacun est celle où ils sont dos à dos au milieu de la plage.

En d'autres termes, quel que soit le marché, quelle que soit l'activité, les leaders du domaine ont tendance à se ressembler de plus en plus et à faire la même chose. C'est flagrant en politique comme en économie, ça l'est aussi dans les milieux culturels, associatifs, syndicaux, contestataires, etc.

Ainsi, sur les réseaux sociaux on peut se poser la question de la signification réelle du nombre de balises (Twitter) ou de pages (FB) différentes traitant d'un même sujet, assumant la même fonction. La question, évidemment, ne se limite pas aux réseaux sociaux.

Les "jeux" qui précèdent sont des exemples-phares de ce qui s'est isolé en tant que domaine scientifique sous le nom de théorie des jeux et qui, en fin de compte, n'a plus grand chose à voir avec la notion de jeu de détente mais plus en rapport avec l'étude des conséquences des situations répétitives et, pour son volet "biologique", la théorie de l'évolution. Si les statistiques et les mathématiques s'y font une part du lion, c'est parce que ce qui est recouvert est très général, pratiquement universel : toute situation répétitive faisant transiter des gains, donc de l'énergie, est concernée par la théorie des jeux.

Biologiquement parlant, nous savons maintenant que les espèces présentes dans la biosphère aujourd'hui sont le résultat d'innombrables "parties" d'un jeu où les cartes sont les gènes et le gain la survie. Pour une espèce, l'ensemble des cartes, le génome, est son capital. Il est remis en jeu à chaque génération et la partie consiste à affronter la réalité c'est à dire, outre les facteurs physiques, les cartes des autres. La théorie des jeux, plus précisément sa notion de stratégie évolutivement stable (ESS), confirme et modélise que le processus maintenant la survie des gènes jusqu'à aujourd'hui est le même que celui assurant le maintien de comportements sociaux plus ou moins stéréotypés à travers les générations. La base de ce processus est le gain que la chose, comportement, gène ou autre, apporte à l'ensemble de l'espèce au cours de la "partie" infinie qui se joue : la survie et l'adaptation du génome.

Au niveau supra-individuel, par sommation simple des chances de survie le génome du groupe survit mieux que celui de l'individu, ce qui implique que l'altruisme est un facteur renforçant son maintien du moment que celui de l'altruiste est génétiquement proche de celui du groupe. C'est un des éléments mis en évidence par la sélection de groupe.

Ceci implique aussi que, dans les grandes populations, les comportements malveillants intraspécifiques sont naturellement sélectionnés : l'altruisme décroît progressivement de la famille immédiate au groupe (pour les animaux sociaux) jusqu'à devenir de l'agression systématique entre individus de groupes différents puis d'espèces différentes. C'est en tout cas ce que Price et Hamilton ont démontré au travers de la sélection de parentèle. Donc, au sein d'une même espèce et selon la taille de la population concernée, les comportements altruistes sont tout autant sélectionnés que les comportements dits malveillants, agressifs.

Ils sont tous les deux naturels, utiles à la conservation du génome et inévitables, même si cette évidence n'est pas encore reçue comme "politiquement correcte" aujourd'hui au point d'être niée jusqu'à la schizophrénie au nom d'une morale plus ou moins politico-religieuse dont la rigidité permet le maintien de dogmes en bloquant cette reconaissance alors qu'elle ne pourrait qu'apporter plus de stabilité aux sociétés, donc au génome (cf. l'optimum de Pareto à partir duquel et selon la taille de la population concernée, l'augmentation du bien-être de certains individus implique la réduction de celui d'au moins un autre).


Fin du préambule.